La gestion du risque

By | 2018-11-24

Piloter sécuritairement au 21’ siècle requiert plus d’effort qu’à l’époque de « ces » années glorieuses. Voler est certainement la meilleure façon de vivre et l’activité de loisir la plus agréable. On ne devrait cependant pas l’entreprendre comme sortir de la maison à grande vitesse, accrochant au passage le sac de golf, lors des quelques heures de liberté permises.

Ignorer la science et la bonne pratique de l’industrie est identique à se caler la tête dans le sable. En fait, ce ne serait pas du sable mais plutôt un terrain riche et fertile en risques qui n’attendent qu’à vous mordre les sections exposées au moment le moins attendu. Que ce soit partir un samedi matin pour aller déguster un café à son aérodrome préféré ou bien entreprendre un autre long voyage vers un endroit pas encore exploré, un pilote devient un directeur de risque organisé. Et oui, voler est agréable!

Préparatifs de traversée de l’Atlantique

Avec ceci en tête, voilà bien 6 mois que je prépare un vol plutôt de grande envergure vers la Suisse. J’en discuterai bientôt. Plusieurs traversent l’Atlantique Nord en avion léger. Rien de neuf ici. Ce qui est nouveau pour cet aviateur est d’entreprendre le voyage en-dessous des altitudes RVSM, bien en-dessous, à bord d’un avion non pressurisé à piston sans turbo.

Faisant partie du processus de planification, la semaine dernière, j’ai sorti C-GDSY (le PA-30) pour vérifier/pratiquer les performances en vol lors du passage critique du voyage en question. On ne traverse pas l’étang sur la route orthodromique sans des réservoirs supplémentaires qui feraient l’ouvrage d’un C-135, trop de paperasse! C-GDSY est déjà équipé de réservoirs longue portée qui permettent 7 heures de vol à 65% et 158 KTAS. Transports Canada autorise la traversée sans radio HF sur une seule route sous plan de vol IFR: CYFB (Iqualuit) – BGSF (Sondestrom, Groenland) – BGKK (Kulussuk, Groenland) – BIKF (Reykjavik, Islande). Plusieurs vont traverser le Groenland directement. Il vaut la peine de mentionner que l’endroit est un énorme glacier, énorme voulant dire haut, très haut. Faire le tour prolonge substantiellement le vol bien que le coup d’oeil doit être phénoménal. L’idée de traverser DSY rapidement si le besoin se faisait sentir devait être évalué.

Alors me voilà donc avec l’AFM ( en fait le IPad…) sur la table ouvert à la section des perfos. On y indique des performances intéressantes (pour le début des années 60). L’ingénieur Ed Swearingen (oui, lui) chez Piper qui afficha les données n’avait certainement pas le Groenland en tête. À 3 600 lb, l’aéronef peut monter sur un moteur, trois semaines plus tard j’en conviens, à 7 100 pieds. Pas si mal, cette affaire peut vraiment monter sur un moteur lorsque bien pilotée. Ce fut la première manoeuvre pratiquée lors de ma « qualification sur type »  l’an dernier. Je dois mentionner ici, que le # de série 30-51 est modifié favorablement pour améliorer la performance: des admissions d’air moteur modifiées, des réservoirs de bouts d’ailes (ouaip, ce n’est le carburant l’attrait ici mais bien la bonification du taux de montée), des carénages de roues derrière le train principal. Toute la quincaillerie remontant à l’antiquité a été soustraite: l’antenne ballon de football américain d’un ADF, l’antenne de Loran C et des grotesques feux anti-collision. En supplément j’ajouterais que n’importe quel pilote de planeur qui se respecte, j’en suis un, couvrira les joints de l’aéronef de ruban gommé. DSY en ressort avec un look d’enfer mais aussi avec 2 KTAS de gain net, banque données de vol à l’appui. Finalement, un avion doit être poli et ciré pour la perfo.

Traversée du Groenland en vol
Le Groenland et son glacier

Donc les 7 100 pieds ne me garantissent pas de poursuivre la traversée du glacier en cas de perte d’un moteur au point critique en route (8 153 pieds ASL). Bien entendu, plusieurs traversent en monomoteur avec l’équipement de survie requis. Pas de soucis dans mon livre, il ne s’agit que d’être conditionné au fait.

Performances sur un moteur

Alors de retour à la semaine dernière, je voulais connaître quelle serait l’altitude de descente (« driftdown altitude ») pour ce vénérable Piper. Aucun détail dans le manuel, pourquoi y en aurait-il? À 3 600 lb, nous sommes montés dans l’espace aérien classe B avec la superbe assistance du Centre de Montréal lors de ce samedi matin aux conditions ISA -5˚C. En passant, le taux de montée moyen sorti de l’enregistreur de données de vol a été établi à 690 pieds/min, pas mal du tout si vous me demandez. Une note importante au passage: si vous avez l’intention de vous entrainer en vol de la sorte engagez-vous un instructeur de vol expérimenté avec un bon bagage pour vous assister, ceci est une affaire sérieuse. Une fois à 15 500 pieds, le #1 fut tout gentiment, mais vraiment tout gentiment fermé après une douce période de refroidissement. Affirmatif, local de CZBM. En extrapolant le graphique de taux de montée sur un moteur, il était attendu d’obtenir un « taux de chute » d’environ 225 pieds/minute avec l’autre moteur au pare-feu. En fait, on bichonne le Twin Comanche et la puissance du #2 est réduite à 2 600 RPM. Quand toutes les commandes sont bien compensées, la Vy ajustée en fonction de l’altitude (écart de 8 KIAS vs MSL), le variomètre affichait un délicat 125 pieds/min. La belle surprise fut la mise en pallier, dans l’air calme j’en conviens, stabilisée à 10 500 pieds !

Connaître les risques pour les gérer

Voilà, je connaissais maintenant sans d’ambiguïté (pas bon pour la santé en vol les ambiguïtés) qu’avec une bonne marge le PA-30 n’aura pas à faire un arrêt technique sur la calotte glacière du Groenland en cas de panne de moteur au point critique. L’option de traverser le secteur en ligne droite est maintenant une option tout-à-fait raisonnable. Cette notion acquise offrant une excellent stratégie de gestion du risque, quelque chose de  moins à penser. Les douanes et les procédures spécifiques des AIP (VFR/IFR) pour les différentes autorités nationales survolées sont déjà assez compliquées à gérer si on veut faire du bon travail.

En passant, après 40 minutes de vol bien fermé et sécurisé, le #1 fut redémarré en un coup de démarreur. Quelle machine fabuleuse!

PA-30 Twin Comanche, performances d'avant-garde.
PA-30

2 thoughts on “La gestion du risque

  1. Serge Gilbert

    wow Marc!,un beau projet.et félicitations pour ton blogue.

    Reply
    1. Marc Post author

      Salut Serge,
      Merci pour tes bons mots et ton inscription au blogue. C’est très apprécié et encourageant! Toujours un plaisir commandant.

      Reply

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *