Panne totale

By | 2019-03-02

Rien n’est plus imminent que l’impossible. Victor Hugo

Pannes de moteur péril aviaire
Panne totale: savoir plané!

C’est en début de formation du pilote que les pannes de moteurs sont enseignées. On y apprend les rudiments de l’atterrissage forcé, aéronef monomoteur oblige. La somme d’expérience d’un nouveau pilote professionnel licencié représente 5 ou 6 heures de vol sur un aéronef léger. Selon les autorités, le tout est largement suffisant pour le restant de la carrière afin de maîtriser cette manœuvre complexe. Une fois licencié, le pilote ne verra plus d’occasion formelle qui lui permettra de pratiquer la manœuvre si ce n’est que de réciter les «items mémoire» de la procédure pour un appareil spécifique mono ou multimoteurs. Il faut noter qu’aucun entrainement formel sur multimoteur n’est exigé ou pratiqué pour les pannes totales. 

L’industrie considère le pilote comme un expert en la matière et on balaie sous le tapis de l’indifférence tous les arguments bien connus des facteurs humains.

Statistiquement, « rares » sont les pannes de moteur totales. Toutefois, l’expérience démontre que les pannes totales se produisent régulièrement dans le monde des transporteurs de ligne. Voici quelques exemples *:

  • juin 1982, un B-747 en Indonésie (ingestion de cendres volcaniques)
  • juillet 1983, un B-767 au Manitoba (gestion erronée du carburant)
  • décembre 1989, un B-747 en Alaska (ingestion de cendres volcaniques)
  • août 2001, un A330 aux Acores (fuite de carburant et sa gestion)
  • janvier 2008 un B-777 à Londres (système carburant obstrué)
  • janvier 2009 un A320 à New-York (importante ingestion d’oiseaux)
  • novembre 2016, un RJ-85 Medellin (gestion erronée de carburant)

Le nombre total de ces incidents/accidents est plus élevé, toute catégorie. Les statistiques sont relevées pour les états plus ou moins démocratiques. Les événements de l’aviation générale*, quant à eux, sont catégorisés comme panne de moteurs sans distinction entre monomoteurs ou multimoteurs. 

La cause principale des pannes de moteurs totales étant visiblement la gestion du carburant et ou les défaillances mécaniques du système à carburant. La seconde étant l’ingestion de matières environnementales : grêle, givre, pluie intense, cendres volcaniques et malheureux volatiles. Suivront les facteurs humains en général et les défaillances mécaniques.

Tristement plusieurs des événements se soldent en nombreuses fatalités.

Face à une panne totale de moteur et à l’intérieur d’un bref laps de temps, le pilotage attendu deviendra très crucial. Dès le début, l’effet de stupéfiante surprise neutralise quelques précieuses secondes particulièrement au décollage. La charge de travail, des procédures et des communications, sature rapidement le efforts du ou des pilotes.

En croisière, à une altitude confortable, le facteur temps permettra des efforts plus soutenus pour une remise en route, possible, d’au moins un moteur.

Aux commandes d’un monomoteur, le pilote sera plus alerte à l’éventualité d’une panne totale à basse altitude que celui aux commandes d’un multimoteurs. On l’espère conscient des distances franchissables, des options disponibles en matière de piste ou de champs utilisables dans les environs. Rien n’est attendu des équipages d’aéronefs multimoteurs.

Bimoteurs légers

Force est d’admettre que le pilote d’un bimoteur est moins en état de conscience de situation élevée (CS) dans le cas d’une panne si drastique. Mieux vaudrait réviser son raisonnement. En situation de panne de moteur d’un bimoteur léger, cette perte correspond à 50% de la puissance initiale, mais elle coïncide aussi à un déficit de 80% des performances de montée. Les facteurs combinés de la diminution de portance sont engendrés par le souffle sur l’aile perdu, la traînée accrue par des gouvernes braquées, le vol non coordonné et une hélice qui mouline. Bien que significatif, l’état de la cellule (peinture, bosses, saleté) ainsi que la dégradation de l’hélice ne sont pas considérés à la section 5 de l’AFM. Poursuivre la montée à la masse maximale certifiée devient problématique sinon impossible. Le vieux dicton que le deuxième moteur vous emmènera sur les lieux de l’accident, résonne à l’oreille.

Une étude en Australie (2005) indique qu’il est beaucoup plus probable de subir des décès causés par une panne de moteur d’un bimoteur au décollage que d’une panne de monomoteur. Les causes principales étant la perte de maîtrise en vol ou l’entêtement à maintenir en pallier un appareil qui serait incapable de le faire dans des conditions existantes moyennes. Dans pareille situation, le pilote en pleine CS saura qu’il fait face en quelque sorte, à une panne totale.

La marginalité des perfos en régime « monomoteur » des moyens porteurs turbopropulsés modernes n’est plus en question. Les turboréactés sont dans une classe de puissance indiscutables.

Un autre fait important est à noter : les pannes de moteur sont toujours plus probables en régime pleine puissance.

Judgment et préparation mentale

La préparation mentale avant le début du décollage est un atout essentiel : un exposé semble indispensable. On pourrait maintenant argumenter que le briefing pré décollage deviendrait une interminable litanie de procédures. Malgré tout, une bonne discipline de vol demande de réviser les options et de connaître la géographie avoisinante.

À basse altitude, c’est le temps qui devient la contrainte. Il faut structurer les priorités :

  1. Reconnaître l’imminence possible d’une panne totale afin de réduire l’effet de surprise
  2. Reconnaître la panne
  3. Appliquer la procédure immédiate : 
    1. Assiette optimale de plané : tout le monde « le nez en bas »!
    2. Checkliste : items mémoire de l’AFM
    3. Choisir un site propice pour l’atterrissage : une piste si l’altitude le permet sinon un champ ou un espace libre d’obstacles
    4. Une communication d’urgence brève
  4. Tentative de remise en marche. Ne pas compromettre la précision du vol plané.
  5. Procédure pour sécuriser
  6. Préparation de la cabine basse altitude

Le virage « impossible »

Les manuels de vol demandent généralement 800 pieds pour qu’un monomoteur classique puisse revenir sur la piste de départ. Certains nomment cette manœuvre « le virage impossible ». Il faut noter que le retour vers la piste de décollage représente beaucoup plus qu’un virage de 180°.

En conditions ISA, vent calme, chargé à 80% de la masse maximale certifiée, un retour vers la piste de décollage en sens opposé pour un A320 coûtera 3100 pieds. Un A330 requiert 2200 pieds : vous avez vu les ailes de ce zinc ? Quels sont les coûts en altitude pour votre appareil ? Avec ceci en tête, on peut argumenter facilement d’établir une altitude de décision afin de réduire l’effet de surprise et améliorer la prise de décision.

On ne peut contourner l’excellence du pilotage et du jugement exercé par l’équipage du vol 1549 de US Airways en janvier 2009. Le commandant, licencié planeur, s’est rapidement rendu compte qu’il était impossible de revenir vers son point de départ ou sur un des nombreux aérodromes avoisinants.

Finesse en plané

Un outil important qui bonifie la CS est de connaître la finesse de l’appareil. On définit par finesse, la distance que peut couvrir un aéronef à une altitude donnée et une vitesse optimale. Cette distance sera évidement variable en fonction de la composante de vent, de la masse et de la traînée en rapport au profil idéal. Pour un aéronef spécifique en vol plané, plus sa masse se rapproche de la masse maximale certifiée, plus il couvrira de distance. Le rapport portance/traînée optimal se produit à une vitesse plus élevée. Le taux de chute sera plus élevé (bien entendu) mais il y va de même avec sa vitesse de meilleur plané.

L’effet du vent doit aussi être connu. Bien entendu le vent dans le dos améliorera la distance planée. Se servir d’un vent de dos pour atteindre un aérodrome, même s’il faut rebrousser chemin, sera visiblement  bénéfique. La technologie sous forme de FMS ou de tablette équipée de logiciel de vol ici, sont essentiels pour accroître la CS. Avec le vent de face, à la même vitesse de meilleur plané la distance optimale sera hypothéquée. Il faut savoir que pour optimiser cette distance de planer, il faut augmenter la vitesse de meilleur plané selon le vent de face rencontré. Certes, le taux de chute augmentera mais la distance parcourue sera bonifiée. L’exemple extrême est par exemple un vent de face rencontré de 60 kt, pour une vitesse de meilleur plané de 60 kt. On avance nulle part. En augmentant la vitesse de plané, la vitesse-sol augmentera ainsi une certain distance au sol sera parcourue. Cette règle n’est pas linéaire mais en général une majoration de 10% fera une bonne différence. 

Un point final doit être connu : toujours voler l’avion et ce jusqu’à son immobilisation. Tenter par une naturelle mais très nocive technique de prolonger un plané en tirant sur le manche ne fera que réduire la distance parcourue et créer un évident décrochage. Il est reconnu que de décrocher à 50 ou 100 pieds causera plus de dommages que de se poser en contrôle sur une surface peu attirante.

Dans le tableau suivant sont répertoriés les finesses de certains appareils.

Type Vitesse finesse
Albatros (l’oiseau) 24 kt 22 :1
Parapente 25 kt 12 :1
Cessna 172 82 kt 12 :1
PC-12 114 kt 15 :1
B767 210 kt 19 :1
A320 200 kt 21 :1
A330 210 25:1
Planeur moyen 55 kt 40 :1

Il faut noter que ces « chiffres » sont produits avec des aéronefs neufs : propres, sans défaut de peinture ou d’irrégularités des surfaces de la cellules. Bien entendu, on suppose des conditions atmosphériques standards et calmes. Le vent affectera grandement la finesse ainsi que le mouvement vertical de l’air par le truchement de thermiques (air montant par l’échauffement du sol) et son abominable alter ego « le rabattant». D’autres mouvements verticaux se produisent causés par le relief : le vent contre la pente ou encore un système d’onde orographique.

Finalement, question de finesse rien n’équivaut l’œil du pilote, surtout dans le dernier mille pieds. La faculté de déterminer avec précision le point d’aboutissement, le point auquel l’appareil touchera le sol sans arrondi, requiert de la pratique et une certaine habitude. Un pilote « moteur » devient en quelque sorte désensibilisé par les nécessités de l’usage des manettes des gaz pour corriger les pentes d’approches fixes à 3 degrés. Les pilotes planeurs développent et entrainent tous les jours l’habilité à juger la pente d’approche sans aucune possibilité d’ajouter du moteur. Grâce à un entraînement rigoureux, le vol en planeur est pratiqué en toute sécurité.  

L’industrie gagnerait énormément en matière de sécurité à intégrer dans les programmes de formation réguliers, les manœuvres de pannes totales. Le contre argument est le coût dans un monde corporatif et gouvernemental qui sans cesse réduit par tous les moyens les dépenses. Le prix de la sécurité progressive aérienne n’apportera jamais de valeur aux actionnaires. 

* Les relevés statistiques peuvent varier d’un pays à l’autre.

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