Le virage impossible

By | 2021-12-04

Une bonne gestion du risque demande une bonne planification. 

Depuis un moment, on note un sujet récurrent sur les réseaux sociaux, différentes publications et discussions: le virage impossible. Traduit librement de l’anglais « the impossible turn ». Il s’agit de ce retour vers la piste que nous imaginons tous pouvoir exécuter suite à un arrêt de service du ou des moteurs lors de la montée initiale.

Le plus déconcertant en visionnant les vidéos populaires qui sont joyeusement étalés sur l’Internet, c’est que dans bien des cas, les vedettes Youtube ont tendance à faire la promotion légère de la simplicité. « Hé, voyez comme c’est facile ! »

Il faut noter que cette procédure d’urgence n’est nullement enseignée ou entrainée officiellement au Canada et certes ailleurs dans le monde. De plus, il faut le reconnaitre, il ne s’agit pas d’une situation qui est statistiquement classée parmi les plus grandes causes d’accidents telle que rencontrer des conditions IMC (conditions de vol aux instruments) sur un plan de vol VFR.

Le débat, s’il en existait un, réside dans le fait que tous et chacun imagine sa capacité infaillible à pouvoir réussir la manoeuvre sans encombre.

La réalité si situe entre l’impossibilité de réussite et la préparation judicieuse à un « éventuel » événement.

Règlementation

Le minimum de formation exigé par le régulateur, demande la démonstration d’une panne de moteur au décollage pour un appareil monomoteur, avec la seule option d’atterrir droit devant avec une fenêtre raisonnable de 30˚ de part et d’autre. Cette dernière permettant un très léger virage afin de rejoindre un champs ou une autre piste si on décolle d’un grand aéroport.

Aucune exigence n’existe pour les pannes totales des avions multimoteurs !

Les coûts d’entrainement étant ce qu’ils sont et le fait même d’entrainer un exercice complexe, risqué et rarement mis en oeuvre de surcroit, ne fait pas le bonheur de plusieurs dont les régulateurs. À cette fin, depuis la nuit des temps, on préconise et enseigne lors des exercices pré-solo qu’il ne faut pas entreprendre le « 180 » qu’une fois avoir franchi les 1000 pieds/sol.

Ainsi, la couverture légale des responsabilités civiles multiples est suffisamment bien couverte.

Avec un peu de perspective, nous savons grâce au airmanship réfléchi qu’il existe des aéronefs qui peuvent répondre favorablement à la manoeuvre de retour sans franchir des limites absurdes.

Il faut maintenant prendre un peu de recul et évaluer la différence entre un Piper J3 et un Beechcraft Bonanza par exemple. La fameuse couverture globale de 1000 pieds/sol devient plutôt floue et discutable pour chacun de ces types.

Les contraintes du (des) moteurs

Mécaniquement parlant, même en complètent les procédures pré-décollage dans les règles de l’art, on demande à tous les moteurs de développer leur puissance maximale certifiée dès le départ. Ce n’est pas durant la course au décollage aux conditions « serrées » qu’il faut philosopher sur un « retard » dans l’entretien ou les opérations peu conciliantes affligées à l’équipe des pistons. 

Personnellement, je considère le / les moteurs comme des unités quasi vivantes et sensibles qui méritent un traitement aux gants blancs. Oui, on dit que je les chouchoute, c’est publiquement gênant, hélas, c’est pourtant bien le cas !

180 degrés ? Pas du tout.

En supposant une altitude suffisante et sans rentrer dans une élaboration géométrique de l’exercice, une panne de moteur au décollage (condition de vent calme) suivie d’un virage de 180 degrés aboutira quelque part à gauche ou à droite de l’axe de piste réciproque. Certes s’il existe une surface avenante à ce moment précis, on gagne la loterie. 

Au cours de toutes discussions de hangar très édifiantes, la plupart d’entre nous sommes d’accord sur le fait que pour rejoindre l’axe de piste réciproque, un virage plus grand que 180˚ sera requis, soit dans l’ordre de 270˚.

Un simple virage, nous le savons tous, produira son facteur de charge et une augmentation de la vitesse de décrochage selon l’inclinaison. Par exemple :

  • 30˚: le facteur de charge augmente de 18% et la Vso augmente de 8%
  • 45˚: 40% et 18%
  • 60˚: 100% et 40%

Le virage à 60˚, pensez-y, est fulgurant, particulièrement à basse altitude en situation de vitesse basse. Si votre zinc décroche à 65 KIAS, vous avez maintenant un aéronef qui décroche à 91 KIAS! Déjà, envisagé un virage à 45˚, à 500 pieds / sol ressemble plus à une forme de démence incontinente. 

Stress et perceptions

Imaginez l’empressement compréhensible de revenir vers la piste en exécutant un virage rapide entre 45 et 60˚ d’inclinaison et ce, sur 270˚. Afin d’éviter un décrochage, sans moteur(s) évidemment il faudra augmenter la vitesse proportionnellement à l’inclinaison du virage. Il faudra obligatoirement piquer pour augmenter la vitesse. Résultante: un taux de descente qui deviendra « démesuré ». À 3 000 pieds, franchement, on en a rien à faire du taux de descente. Mais sous 1 000 pieds AGL, la réalité est fort différente et en prime le pilote concerné devra faire preuve d’excellente habilité puisqu’en plus de voler parfaitement coordonné (la bille centrée pour réduire la trainée et l’augmentation conséquente du taux de descente), il faudra aussi compléter les procédures vitales de remise en route ou de sécurisation du (des) moteur(s) au poste de pilotage.

À première vue, le fameux mille pieds n’est peut-être pas si conservateur qu’il ne semble.

La Gestion au poste de pilotage (CRM)

Nous avons acquis plusieurs connaissances en matière de CRM depuis les années 80. L’une d’elle est que le pilote est sans aucun doute le moins bon évaluateur de ses propres facultés au pilotage.

Ceci ne voulant pas dire que le pilote est incapable d’exécuter une manœuvre complexe. Il s’agit tout simplement de concevoir sa capacité limitée d’exécution en relation à sa récence.

Quoi de plus simple que d’exécuter un « 180 » et d’atterrir ? Quoi de plus simple que de creuser un cratère en bout de piste !

Le facteur surprise

J’ai déjà discuté (BLOG) de cet élément qui entre en ligne de compte lors de la certification des aéronefs multimoteurs. Lors des vols d’essais, afin d’établir les bases des graphiques de performance au décollage, la vitesse de décision V1 est calculée. Cette vitesse qui pourrait aussi se nommer « go / no go » lors d’une panne de moteur durant la course au sol. Dans le calcul, on ajoute deux secondes pour prendre en considération le temps de réaction de l’équipage. Le facteur surprise est bien connu à ce jour. Qui n’a pas entendu parler du « Sully factor » (Commandant Chesley Sullenberger du vol US1549) ? 

Il n’existe pas de tests et de mesures provenant des manufacturiers pour une panne totale de propulsion au décollage. Que dire du facteur surprise à un moment si critique ? Pire encore on n’en exige pas la démonstration où la pratique ! Chez les transporteurs, la raison principale pour cette « absence » est basée sur deux éléments. Le premier est la très grande fiabilité des turbo-propulseurs et la deuxième, moins noble, mais pas moins importante est le manque de ressources financières généralisées pour l’entrainement. Le coût d’entrainement des membres d’équipages ne génère pas de dividendes financiers.

Ce dernier élément s’applique évidemment à tout propriétaire d’aéronef. Qui veut donc embaucher un instructeur de vol pour aller pratiquer une manoeuvre qui n’est pas même pas prescrite dans le curriculum qui définit la licence détenue ?

Les aéronefs ne sont pas créés égaux !

Un DA-40 ne planera pas de la même façon qu’un Antonov 2. Un Metroliner ne se comporte pas aussi joyeusement qu’un A-320 ! Les ailes en sont une raison principale évidemment et bien entendu la trainée. Voir l’article récent sur les pannes totales. (https://fr.aviationcommonsense.net/2019/03/02/panne-totale/).

Plusieurs fabricants de monomoteurs produiront un graphique de finesse en mode « plané ». C’est rarement le cas pour les appareils multi moteurs.

Les facteurs multiples

Outre la mécanique de vol du virage comme tel, il faut noter plusieurs facteurs qui influenceront le succès de la manoeuvre si elle devait être requise.

  • Altitude de décision : il est fondamental de la connaitre pour permettre un retour en toute sécurité avec une certaine marge. Voler près des limites n’est jamais une bonne affaire.
  • Assiette de plané immédiate : on doit impérativement passer l’avion d’une assiette cabrée à une assiette piquée. Le but est de reprendre la vitesse qui se dégradera très rapidement. L’ajustement de cette dernière suivra selon l’inclinaison du virage requise.
  • La longueur de piste : une piste « courte » pourrait devenir synonyme d’une approche trop haute et déstabilisée. Sur la même piste « courte », si la montée initiale n’est pas optimisée, le retour sera forcément plus serré.
  • Le vent de face : un vent de face réduira la distance de décollage et augmentera l’angle de montée. Sur le retour, le vent maintenant arrière, viendra augmenter la distance au sol parcourue. D’une part, on imagine que ceci aide à revenir vers la piste si on s’en est éloigné mais entrainera aussi une plus grande vitesse/sol à l’atterrissage. Il y aura beaucoup d’énergie à dissiper. Les commandes de vol deviendront totalement inutiles à vitesse réduite perdant ainsi un atout important dans la maitrise directionnelle.
  • Le vent de travers : afin d’éviter l’éloignement de l’axe de piste, entreprendre le virage dans le vent. Prendre en considération l’effet dextrogyre et de cisaillement en passant la limites des arbres. Des effets ici qui viennent déstabiliser une approche déjà assez « rock and roll ».
  • La densité de l’air : les performances au décollage seront différentes.
  • La masse de l’avion : en plané, un avion plus lourd couvrira plus de distance au sol bien qu’il prendra un peu moins de temps pour y arriver qu’un avion léger.
  • Une virage coordonné : les glissades et les dérapages créent de la trainée. Certes une glissade sera utile pour gérer l’énergie une fois la piste rejointe. Les manoeuvres abruptes réduiront la finesse de la manoeuvre.
  • Les composantes « actives » : les volets, le train d’atterrissage escamotable, les hélices moulinant apportent leurs lots très mesurables de trainée.
  • Vitesse, vitesse, vitesse : la vitesse planée est une chose mais ensuite il faut bien augmenter le piqué pour compenser l’inclinaison du virage.
  • Le trafic immédiat : imaginez seulement exécuter une superbe manoeuvre de virage parfaitement exécutée seulement pour vous retrouver face à face avec le prochain trafic qui décolle. Il faut prévoir le coup. La CS prend une place prépondérante. Il faut percevoir et « se souvenir » du trafic immédiat qui nous suit, faire usage de la radio des plus efficacement (VOIR BLOG PRÉCÉDENT) en espace aérien non contrôlé. Si en zone de contrôle, généralement, il y aura une autre piste qui en option et le contrôleur apportera une aide inestimable par le fait même qu’il surveille le déroulement des mouvements depuis sa position privilégiée.

La capacité d’exécuter la procédure de remise en route de la propulsion même partielle doit se pratiquer pour compléter avec succès la situation d’urgence. Imaginer pouvoir voler l’avion bien coordonné, faire un appel radio éventuel et compléter la procédure sans jamais avoir pratiqué l’exercice ressort d’un rêve en « Technicolor ».

Pratiquer la procédure en altitude avec un instructeur aidera à connaître approximativement l’altitude requise d’exécution pour l’avion spécifique et également « bâtira » la confiance et l’habilité nécessaire pour compléter la manoeuvre. 

Video du NTSB américain. C-172 en retour sur piste panne de moteur totale. Aucun décès signalé. Notez l’assiette cabrée.

Briefing pré-décollage 

Un briefing structuré avec la panne totale prise en considération est la base d’une réussite. 

Personnellement, pour l’avoir pratiqué en vol à une altitude sécuritaire ou en simulateur, je sais qu’un planeur performant prendra 200 pieds, un PA-20: 800 pieds, un PA-30: (hélices moulinants train sorti seulement une fois la piste assurée) 1 100’, un A-320: 3 100’, un A-330: 2 200’. 

Voici le moment où il faut émettre un avertissement. Ces données sont présentées à titre indicatif seulement et ne changent en rien la nécessité absolue de respecter les exigences du POH de votre appareil concerné et des procédures préconisées par le régulateur et le manufacturier. La manoeuvre de retour sur piste n’est rien de moins que périlleuse, impliquant une approche largement instable dans un premier temps alors que ce dernier est restreint. Elle demande une habilité supérieure qui s’acquiert avec de la pratique.

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