Le pilotage: mais qu’est-ce qui se passe?

By | 2019-01-05
B-777 runway excursion EDDM.
Photo BFU: excursion de piste EDDM

Le pilotage est un bien périssable. Ne pas l’entretenir invariablement entrainera une dégradation des facultés du pilote lui-même. C’est la raison qui explique les visites au simulateur à chaque six mois. Aux six mois, vous dites? Plusieurs transporteurs ont même la « chance » financière d’étirer cet entrainement aux 8 mois.  

Le rapport récent très complet de la BFU (Bundesstelle für Flugunfalluntersuchung / German Federal Bureau of Aircraft Accident Investigation) sur l’incident à EDDM d’un B-777 qui est sorti de piste porte en conclusion des manques au pilotage. Le média dans ses habitudes de recherche du blâme pour simplifier la compréhension de ses clients a été tristement prompt à publier la cause comme étant une erreur de pilotage.

La sacro-sainte et notoire erreur de pilotage.

Ce nouveau rapport ultra-précis se joint à bien d’autres avec ce même facteur commun: un B-777 à KSFO en juillet 2013, un A-330 sur l’Atlantique en juin 2009, un B-737 à EHAM en février 2009 ou un Q400 à KBUF en février 2009.

Soyons parfaitement clairs: un accident ne sera jamais causé par un seul facteur. Plusieurs éléments d’importances se produiront dans la chaine d’événements qui ne seront pas arrêtés lors de leur progression. Cette progression est parfois mise en route bien avant le décollage.

Le pilote: la protection ultime

La triste affaire dans l’évaluation de la sécurité aérienne c’est que nous devons étudier les accidents/incidents pour tirer des leçons. Tous les jours, les résultats parfois très insidieux des défaillances du système sont corrigées par les pilotes sans aucun chichi.

En fin de journée malgré tous les grands manufacturiers ou fabricants, malgré tous les grands transporteurs, malgré toutes les compagnies d’assurances, malgré tous les grands cabinets d’avocats et malgré tous les régulateurs du monde, le système de transport aérien dépend des aviateurs assis en avant. Ce sont eux qui doivent arrêter ces réactions en chaine.

Quand toutes les organisations et leurs excellents services tombent en panne ou que des erreurs s’introduisent dans les processus, c’est aux pilotes de gérer les défaillances.

Rien n’est parfait dans ce bas monde et en dépit des grandes découvertes et des superbes avancements technologiques, des forces encore inconnues agissent envers et contre toutes les meilleures intentions des intervenants.

Les micro-rafales: force adverse inconnue?

Dans les années 70, une « force inconnue » agissait sur des turbojets et l’industrie commençait à en prendre conscience. Des gros porteurs (turbojets) s’abîmaient tout près d’aéroports, souvent dans des conditions visuelles. Le média de l’époque toujours à la recherche d’une cause simple à expliquer s’en tenait à blâmer les erreurs de pilotage. Comment se faisait-il que des pilotes d’expériences (plusieurs vétérans des forces aériennes impliquées en 39-45) qui volaient des aéronefs en parfait état de vol pouvaient aller s’écraaser sans raisons apparentes? « Une erreur du pilote », qu’ils disaient. Les rapports d’accidents signalaient de grandes questions mais les réponses n’étaient pas si nettes.

Rappelez-vous, nous sommes 40 ans en arrière ici: pas de Facebook, pas d’Internet, pas d’EFB, pas de GPS. Outre les yeux, il n’existait que des instruments électro-mécaniques pour juger sa trajectoire de vol. Au final, en 1974, l’existence des micro-rafales fut révélée et qu’en fait ces accidents n’avaient rien à voir avec des erreurs de pilotages. La science sous ses hospices météorologiques a contribué à comprendre le phénomène très connu de nos jours. À l’image de pilotes planeurs qui se servent des phénomènes atmosphériques pour voler, les membres d’équipages reçurent la formation théorique et pratique nécessaire pour voler en sécurité dans ce « nouvel » environnement. D’une situation inconnue fort létale, l’industrie est passée à une gestion efficace d’une situation compliquée. D’une menace reconnue à une solution efficace en matière de secondes, voilà le travail de pilote! Encore faut-il reconnaître la menace.

Depuis l’avènement des systèmes informatiques de gestion de vol dans les années 80, l’industrie s’est dotée d’un outil remarquable pour améliorer sécurité et l’efficacité dans des espaces aériens toujours plus restreints par le trafic croissant. Les membres d’équipages sont formellement requis de comprendre et de d’opérer ces systèmes pour se qualifier sur type.

L’exigence stricte à la fluide opération des systèmes FMS couplés aux auto-pilotes et auto-manettes depuis les quarante dernières années devrait être sérieusement considérer et mis en contexte.

Dans l’effort de concentration à la gestion des systèmes automatiques, la dégradation des habilités au pilotage manuel s’est invitée sournoisement au poste de pilotage sans que personne n’y réagisse sérieusement. Cette nouvelle « force sombre » fait présentement plusieurs victimes. 10000 heures de vol à voler avec précision des FMS dans toutes les phases de vol, principalement en croisière et de débrancher l’auto-pilote au FAF une fois l’avion configuré apporte bien peu de pratique du manche à balai!

Sans le savoir, l’industrie a créé une nouvelle menace très similaire aux micro-rafales des années 70.

FMS: exigences modernes de précision.

Il faut savoir que plusieurs transporteurs encouragent les pilotes à brancher l’auto-pilote dès le décollage et voir même jusqu’à faire des atterrissages automatiques en VMC. Plusieurs SOP demandent le branchement de l’auto-pilote lors d’une panne de moteur, ne faisons-nous plus confiance aux pilotes? Quand est-ce que quelqu’un aurait-il/elle executé un décollage en A-350 sans l’assistance des directeurs de vol?

Aucune chance n’est laissée ou donnée aux membres d’équipages de se pratiquer à voler manuellement. On hésite de plus en plus à débrancher l’auto-pilote et/ou les directeurs de vol de peur de « défoncer » de l’espace aérien ou bien de sortir des marges minimums de pilotage très basique IFR. L’estime personnelle devant les collègues, une réaction humaine normale contribue sans doute à cette affaire.

Certains transporteurs prônent du bout des lèvres la pratique de voler « à la main » en créant quelques scénarios – attendus – en simulateur contraignant le vol à la main pour quelques instants. Aucun exercice de vol sérieux avec toutes dépendances électroniques éteintes dans le style de posés-décollés sur une base régulière, double panne de moteur à 3000’, etc. Les arguments au défaitisme sont les fonds non disponibles à l’entrainement. Un équipage qui s’entraine n’est pas productif. Un exercice pointu de vol manuel mal exécuté demandera plus de temps de pratique et donc reste au sol. Le régulateur n’exige en rien des performances de vol à la main et surtout on s’allège des responsabilités constructives en se cachant derrière le concept de  « meilleures pratiques de l’industrie »: qui n’est rien d’autre que le nivellement par le bas. Qui serait prêt à débourser des sommes supplémentaires pour avoir des pilotes mieux entrainés si les compétiteurs ne le font pas?

Encore les contraintes budgétaires, malgré les profits.

Ajoutez à cela nos ministères des transports mondiaux qui sont eux-même contraints par de cruels manques de ressources. Ils ne forcent plus la main des transporteurs sous prétexte de causer des fardeaux financiers indus à l’entreprise privée.

Pourquoi les transporteurs devraient débourser un seul sou de plus pour maintenir à la fine pointe l’habilité au pilotage manuel des équipages? Comme mentionné dans une rubrique précédente: aucun bénéfice aux actionnaires n’est possible. 

L’entrainement de pointe ne consiste pas à faire quelques pirouettes amusantes dans un système d’entrainement plus dispendieux à faire fonctionner à l’heure qu’un « turboprop » léger. Il s’agit de maintenir au sommet des performances les pilotes qui n’en demandent pas moins. Nos passagers s’attendent à ce qu’il y a de mieux. 

L’industrie se trouve en face d’un problème sérieux qu’elle doit reconnaître. Devrons-nous attendre une rébellion des assureurs avant que nous prenions acte? Les ressources sont disponibles pour corriger la situation.

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5 thoughts on “Le pilotage: mais qu’est-ce qui se passe?

  1. Jimmy

    Marc,
    On apprend beaucoup en te lisant. Personnellement, j’analyse chacun de mes vols et les carnets de notes commencent à s’empiler doucement. Le diable est dans les détails et ceux-ci sont plus difficiles à percevoir!
    A la fin du vol je me donne une note et un axe de progrès pour le prochain vol!
    Merci pour nous partager ta riche expérience et tes projets de vols.
    J’ai communiqué ton blog à un jeune pilote ami d’AC Nicolas Maire et à mon voisin au hangar à CYBC LARRY Lepage que tu connais je crois ( il vole sur Husky) un bel avion!
    Jimmy

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    1. admin Post author

      Bonjour Jimmy,
      Merci pour ton message. Il faut percevoir chaque vol comme ayant sa « raison , son but » , génial. Merci de communiquer les détails du blog. Tu diras bonjour à Larry, c’est un de mes collègues que je connais bien, un gentleman. Un autre qui adore ne pas rester à terre! Sa machine est superbe. Tu peux lui dire qu’il me reste deux des quelques sacs qu’il m’a offerts. Je les réserve pour ma traversée de juin.

      Reply
  2. jimmy

    avec joie je vais lui faire part de cela.
    Bons vols !!
    Jimmy

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  3. Michaud

    j’ai hâte de lire vos commentaire Je suis a la retraite avec 25000 h. de vol aussi ingénieur je fait de l’entretien pour quelques amis

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    1. admin Post author

      Merci pour le message. C’est très apprécié. Alors on se la coule douce! Vous êtes dans quel coin?

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