Où est l’urgence ?

By | 2021-07-10
À quand remonte la dernière fois que vous avez subi une urgence en vol, une vraie ? 

Chacun aura son interprétation créative sur le sujet. La perception d’une situation anormale qui préoccupe est des plus subjective d’un pilote à l’autre. L’expérience y fait pour beaucoup. Toutefois, un océan sépare une situation stressante où le pilote est occupé et une condition d’urgence prioritaire.

Je mentionne expérience, car un pilote fraichement licencié se sentira sans doute en urgence devant une situation X, alors que pour un(e) commandant d’expérience ce ne le serait pas.

Heureusement comme nous verrons plus loin, la majeure partie des situations anormales et urgentes se définissent bien. 

Plusieurs pilotes surveillent l’image projetée d’eux-mêmes au monde extérieur. Voilà bien une pierre angulaire du CRM. Personne ne veut avoir l’air d’un débutant maladroit. C’est une évidence. Malheureusement l’appel à l’aide pour ainsi dire, aurait tendance à première vue de démontrer la faiblesse de l’interpelant. 

En écrivant ces lignes, j’ai l’impression de traiter un sujet d’ordre paléolithique ! Pourtant, en dépit des énormes avancées offertes par le CRM dans l’industrie, il semblerait que l’on se braque pour se prévaloir au moment opportun des ressources (le R de CRM) disponibles.

Ce fut un constat récent qui a attiré mon attention en terminant l’écoute d’une excellente balado-série: « There I was » (https://www.aopa.org/news-and-media/podcasts/podcasts/there-i-was) de l’Air Safety Institute de l’AOPA (Aircraft Owners and Pilots Association – www.aopa.org). 

J’en recommande vivement l’écoute (dans la langue de Churchill). Personnellement, les balados, me faisaient penser à des trucs souvent ringards. Je me suis ravisé plus rapidement que pour une interception par le haut d’une pente d’approche ILS dès l’écoute de la première chronique.

L’excellente série toujours en production mensuelle présente des situations compliquées vécues et relatées par les pilotes, eux-même. Ce qui en fait un « ouvrage » hors-pairs en matière de sécurité aérienne est le fait que l’approche objective et scientifique est totalement dépourvue de toute forme de jugement ou de reproche.

Réticences

L’analyse de chacune des situations racontées apporte bien souvent une nouvelle perspective. Penser à l’extérieur de l’emblématique carré de sable est toujours bénéfique. Suite aux écoutes, une observation dans la plupart des cas relatés (dans l’ordre de 9 fois sur 10), est que le pilote ne déclare pas d’urgence auprès de l’ATC.

Parfois dans le feu de l’action, on y raconte que les contrôleurs impliqués comprennent rapidement la nature des situations et mettront sur le pied d’alerte les instances nécessaires et passeront en mode « urgence » malgré tout.

Les services apportés par ATC

En espace aérien contrôlé, lors d’une urgence déclarée, on libère l’espace aérien autour l’aéronef impliqué permettant un atterrissage sans délai. Les règles de l’air seront mises en subordination si nécessaire pour accommoder le vol. Certes, les restrictions d’accès de service en zone urbaine dense seront « suspendues ». Le service ATC coordonnera également les services au sol (CFR – crash fire rescue), les ambulances et all.

Loin des grands centres, bien que le trafic aérien soit limité, l’appel d’urgence est capital puisqu’il mettra en alerte immédiatement les services de recherche et sauvetage. L’arrivée rapide d’une équipe est vitale. Il faut se souvenir qu’il y a presque toujours un avion de ligne qui survole à haute altitude un secteur ou un autre et les membres d’équipages sont tous à l’écoute sur 121,5.

Le relais vers les services ATC sera fait avec la plus grande diligence. Faites-moi confiance!

La réticence à contacter les services avec l’appel d’urgence est incompréhensible même par soucis de déranger les grosses organisations. Dans une situation anormale en vol que l’on soit assis derrière les 100 chevaux d’un C-150 ou des 300 d’un C-210 ceci ne fait aucune différence. Ces organisations sont en place précisément pour ces malheureuses occasions. D’une part si la situation venait qu’à se « normaliser », il est toujours temps d’annuler l’urgence. Et d’autre part, la « pire » des conséquences que l’on fait face est un rapport écrit décrivant les événements qui ont mené à l’appel.

Évidemment, en matière de facteurs humains, l’instinct d’amour-propre vient interférer avec les appels d’urgence lorsqu’une situation est conséquente d’une erreur de jugement.

À la défense de ces situations embarrassantes, la vie humaine prime. Les erreurs ou dérogations non-volontaires font parties de la réalité de tous les jours. La grandeur d’une personne se mesure souvent au courage requis pour admettre et corriger une condition désagréable.

La formulation

Un appel d’urgence doit être signalé avec le plus de détails possibles et avec précision. Comme le temps est devenu à ce moment une ressource très limitée, une transmission précise et sans ambiguïté est de mise. Communications, communications, communications! ( Le C des comms qui pourrait facilement être le C de « CRM »).

  • Mayday ou Pan Pan (trois fois)
  • Identification aéronef (trois fois)
  • Position (lieu géographique et altitude)
  • Situation
  • Intention
  • Carburant restant
  • Nombres d’occupants à bord

Évidemment, certaines urgences vont se présenter où le temps n’est tout simplement pas une ressource disponible. L’appel formel avec les détails précédents serait par moment non pratique. Un simple appel « Mayday, Mayday, Mayday, lettres, situation et standby » suffira pour mettre en route la machine.

Rappels

Réviser la définition de Mayday et de Pan Pan est de mise. « Mayday » est un appel de détresse où l’assistance immédiate est requise. Un feu incontrôlable à bord est un bon exemple. « Pan Pan » est un appel d’urgence relatif à la sécurité de l’aéronef ou d’un autre ou d’un occupant à bord. Une panne de moteur sur un appareil bimoteurs ou encore un occupant gravement malade.

L’importance de l’utilisation d’un de ces deux termes est sans équivoque reconnaissable partout sur la terre. Il n’existe pas d’ambiguïté quant à leur valeur ou « interprétation culturelle ». En survolant un pays quelconque loin de l’Amérique du Nord et d’expliquer à un contrôleur en anglais votre condition anéantira les chances d’être compris. L’anglais n’est qu’une langue seconde et procédurale. La lexicologie doit s’en tenir qu’aux termes appris. D’expliquer que présentement une drôle d’odeur à bord se manifeste avec une baisse de visibilité – à l’intérieur – et que vous voudriez un guidage radar pour vous rapprocher, risque de retarder l’assistance immédiate.

Perceptions

Mais voilà, comment un individu définit-il un incendie par-rapport à un autre qui perçoit un feu ou une drôle d’odeur tout d’un coup ? Le mot « incendie » évoque un feu aux proportions dévastatrices alors que le mot « feu », bof, une flamme de briquet ou d’allumette ? La drôle d’odeur peut souvent être interprétée comme rien d’autre qu’une effluve d’eau de Cologne bon marché mélangée au bouquet d’un four dégoulinant de restants réchauffés d’anciennes victuailles.

Serait-ce une erreur de déclarer une urgence et de gérer son vol en conséquence ? Où trace-t-on la ligne entre cette odeur désagréable et celles disons d’un feu électrique ? Évidemment le bon jugement doit s’appliquer. L’histoire de Pierre et le loup me vient en tête. Un pilote compétent se référera aux procédures du manufacturier pour prendre une décision.

Des cas subjectifs?

Un train d’atterrissage rétractable qui ne sort pas selon son opération normale ? Rien de grave que comme la plupart d’entre nous imaginerons. On le sort manuellement, pas de soucis, on connait le système par coeur, pas de soucis. Pourquoi déranger tout le monde ? Et en prime pas de paperasse. Pas de soucis. « Il y a en masse de piste », pas de soucis. Les passagers ne le sauront même pas, pas de soucis. Et pourtant n’importe qui avec un peu de jugement sait très bien qu’il existe un certain doute dans toute l’affaire. Ce doute se nomme « risque connu ». Pourquoi tenter sa chance sans faire appel aux équipes au sol ?

Une dégradation des commandes de vol est souvent une situation qui peut se maitriser. Qu’elle soit issue d’un problème aléatoire ou bien d’une omission à retirer la cale blocage lors de l’inspection pré-vol. Clairement l’omission subséquente d’accomplir la checkliste pré-décollage n’aidera en rien la nécessité pressante de déclarer une urgence. La situation en vol est suffisamment sérieuse. Même si la trajectoire de vol est maîtrisée, des vies humaines sont mises en danger. Peu importe la ou les raisons d’en être rendu là, peu importe ce que l’on pense de sa capacité supérieure à piloter sous un pareil stress.

Un enchaînement, pourtant improbable à première vue est tout à fait probable maintenant. On ne parle pas de venir paranoïaque ici, mais de simplement d’ordonner en place toutes les ressources nécessaires à sa disposition pour justement contrer les nouveaux éléments de risque.

Loin des yeux, loin des services?

Se poser d’urgence suite à une panne de moteur dans une clairière seulement à un kilomètre d’une route semble assez simple comme cas. Les autorités prendront sans doute des heures pour alerter des équipes. Ces équipes auront ensuite à retrouver le site si aucun appel n’a été lancé. Encore plus de temps sera dépensé inutilement si aucun plan de vol n’eut été déposé. Alors qu’en altitude, l’ATC vous entend, sinon ce sera un gros porteur. Les services d’urgences seront avisés instantanément. La balise d’urgence activée manuellement avant l’atterrissage est fondamental.

Que le problème initial causant la situation « anormale » soit éventuellement réglé du style givrage intense de carburateur ou une gestion de carburant malhabile, il sera toujours temps d’annuler l’urgence. Ce genre de conclusion est toujours un moment heureux.

Certes, il y aura de la paperasse à remplir et sans doute une entrevue à compléter, mais finalement, c’est n’est rien comparé aux services inexistants ou retardés si la situation ne s’était pas réglée favorablement.

Il faut savoir qu’un appel « Minimum fuel » (carburant minimum) même en situation délicate n’est pas une urgence. L’ATC pourra gérer le trafic pour vous accommoder si la situation le permet. Toutefois, si la situation ne semble pas aller dans la bonne direction, il faut alors impérativement déclarer l’urgence.

Murphy toujours à l’écoute…

Vous n’avez pas expérimenté une situation anormale ou urgente ces dernières années ? Les chances sont que si on vole régulièrement, tôt ou tard Murphy viendra s’installer à bord. Certes les chances de le rencontrer sont encore plus grandes si on vole peu et irrégulièrement.

Inscrivez-vous au blogue

Entrez votre adresse courriel pour recevoir les notifications de nouvelles rubriques

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *