Paradigmes

By | 2020-05-10

Paradigmes ou changez la façon de visualiser votre environnement.

Les paradigmes sont la vue étroite de notre monde. Ils sont la base de la stagnation systémique. Le dernier endroit où l’on veut entendre parler de paradigmes est bien dans le poste de pilotage.

Ressources en gestion du poste de pilotage (CRM)

Bien comprendre les paradigmes, leur influence et/ou conséquences fait partie de la pierre angulaire d’une solide construction en matière de CRM (« cockpit resource management »). Depuis un bon moment j’enseigne le CRM. On pourrait donc penser que je serais à l’abri des affres des paradigmes. Négatif, pas de carte de sortie de prison gratuite pour cet instructeur. Je suppose que la perfection ne peut jamais être atteinte sans y consacrer une quantité faramineuse, sinon disproportionnée de temps pour passer la note de 90%.

Avertissement: si tout ce qui vous intéresse lorsque vous sortez voler est du tire-pousse à la main de gorille ou « regardez ce coucher de soleil à l’atterrissage et le selfie vient qui l’accompagne », prenez une pause de cet article. Les autres vous pouvez continuer avec un peu de patience.

Mais de quoi peut-il bien parler? Premièrement, un paradigme, selon le dictionnaire Robert, est un modèle de pensée. On peut visualiser avec confiance qu’un paradigme est un modèle fonctionnel avec lequel le cerveau humain fonctionne.

  • « Depuis 15 ans que je rentre sur cet aéroport de cette façon. Je ne suis pas sur le point de changer l’opération».
  • « Les nouveaux embauchés n’ont aucune espèce d’idée».
  • « Si ce n’est pas cassé, ne pas réparé »… (un de mes préférés)

Pièges 

Comme pilotes, nous sommes tenus à une discipline rigoureuse pour voler en toute sécurité. La discipline rigoureuse intègre les procédures, les SOPs (procédures d’opérations standardisées) et certainement la mémoire d’expériences passées (parfois pas si joyeuses) pour nous éviter de rentrer dans un tunnel menant à un piège. Alors certains pourraient ajouter que les trois déclarations précédentes sont excusables.

Les pièges existent dans tous les formats. Tel que le modèle de James Reason que nous utilisons en formation élémentaire de CRM, les trous/pièges peuvent varier en géométrie.

L’expérience est une superbe instructrice. Pourtant, elle peut vous mener sur la voie à sens unique des paradigmes. Déjà vu? Quelqu’un?

Je comprends que ce texte devient lourd en matière de théorie de facteurs humains. Mais enfin, voici ma petite histoire sur comment je me suis fait prendre dans un « innocent » paradigme. Pour toutes sortes de raisons expliquées, J’ai mis passablement de temps pour comprendre la situation.

Dans un article récent (en anglais), je relatais le projet majeur de rénovation du PA-30. Une partie du projet consistait à remplacer les vénérables gyroscopes par une paire de G5s de Garmin. Clairement on pourrait dire que je m’ennuyais du 330. De toute façon, un système « EFIS » est une belle façon d’améliorer le vol de précision.

Soyez assurés, par-contre, que de voler à la main avec rien d’autre que le manche à balais et le palonnier (même pour le 330) demeure mon dada. Il n’y a rien comme voler un avion à train conventionnel dans un champs de « patates » ou un planeur avec un vario à énergie totale bien entendu!

Mais là, je m’écarte…

Le long chemin vers le paradigme

Alors de retour sur les G5 du PA-30 avec un peu d’explication. N’oubliez pas: les paradigmes requièrent beaucoup d’effort et de réflexion pour bien s’ancrer dans notre vie aérienne.

« Le » Twin Comanche est une vieille dame mais une héroïne dans la catégorie des zincs bien en avance sur leur temps. C’est un excellent compromis pour une bonne vitesse de croisière économique au prix d’une visibilité extérieure moyenne en manoeuvre ou en tourisme. Les caractéristiques de  décrochage très dociles à 1G sont superbes mais vous y laissez les perfos ADAC à l’atterrissage avec seulement 27 degrés de pleins volets.

Avant d’acquérir l’avion, de bonnes recherches furent accomplies. J’ai découvert que plusieurs propriétaires / pilotes trouvent que l’avion flotte plus que la moyenne à l’atterrissage. Évidemment puisque les facteurs contribuants sont ces volets, une aile laminaire assez « propre » et une incidence au sol assez cabrée. Ce dernier point apporte un certaine confusion pour plusieurs nuisant à un arrondi complet. Ceux qui arrivent à bien arrondir vont encore plus flotter.

Ce bagage acquis de « connaissances », appelons le: paradigme phase 1, a contribué à cette première impression que le PA-30 est un avion qui flotte à l’atterrissage. J’acceptais sans problème ce « fait »: c’est la vie. De plus, le zinc contribuait de façon magistrale à accomplir une foule de projets personnels.

Le paradigme deuxième phase 2  quant à lui était plus subtil. Il s’imbriquait tellement bien avec tout le concept qu’il faut le mentionner.

Les paradigmes font partie sans doute de l’historique

 Vers la fin des années 60, le PA-30 s’est fait attribuer (sans raison valable) une mauvaise réputation lorsqu’une série d’accidents de décrochages, vrilles, écrasements se succédèrent. Gardez bien en vue le contexte: fin des années 60. Considérant toutes les connaissances accumulées dans l’industrie depuis lors, notre vision devient quelque peu biaisée. La FAA exigeait que les écoles de pilotages et les opérateurs pratiquent des décrochages sur un moteur en démontrant également des manoeuvres à la Vmc (vitesse de contrôle minimum en vol). On pratiquait le tout entre 2000 et 3000 pieds, si, si! L’avion à un poids de 3300 livres (bien en-dessous de sa poids maximal) décrochera à 63 KIAS (lisse) et la Vmc était de 69 KIAS à ces altitudes. Contrairement aux modèles de bimoteurs légers modernes le PA-30 va « snapper » sur un moteur d’une façon qui rendrait un pilote d’Extra 300 jaloux (une métaphore colorée, c’est déplorable j’en conviens). Les bimoteurs modernes offrent une Vmc bien inférieure à la Vs. Sur un moteur, vous allez évidemment décrocher avant que le moteur « vivant » vous emmène pour une balade.

Au point de vue aérodynamique, il n’y avait pas de grande surprise. Il n’existait aucun défaut dans le design du PA-30. Mais dans un effort de réduction des cratères autour des aéroports, la FAA a exigé d’augmenter la Vmc de 8 KIAS accompagnée d’une série de sombres directives et de changements dispendieux des indicateurs de vitesse. Pour calmer le jeux, Piper a même mis à disposition un « airflow kit » pour améliorer la maniabilité à faible vitesse sans toutefois maintenir la Vmc à sa valeur originale.

La vitesse d’approche classique d’un avion en général est d’à peu près 1,3 Vso. Pas de problème, sauf que cette vitesse vous rapprochait « dangereusement » de la nouvelle Vmc. Alors on rajoute un 5 kt juste pour être certain et encore plus pour le vent. Ouille! Maintenant on se retrouve à bord d’un vrai planeur à l’atterro!

En passant si vous avez des questions au sujet de la Vmc et son calcul pour les fins de certifications n’hésitez pas à m’écrire.

Une étude de la US Navy sur l’expérience des pilotes démontre que l’efficacité au pilotage prend environ 500 heures avant de devenir vraiment compétent sur n’importe quel type d’avion. Ceci, peu importe la quantité d’heures totales affichées au carnet.

Toujours en apprentissage

Bien au fait, gardez en tête que j’enseigne cette matière, je m’applique à un pilotage du PA-30 le plus délicatement possible et ce, sur la pointe des pieds. Alors le zinc flotte? Mais on s’en fiche! Je n’en suis pas rendu à une opération de DHC-6 dans l’Arctique. Je n’opère que sur de longues pistes. Néanmoins, même avec des atterrissages d’entrainement à freinage maximal, atteindre les performances affichées au livre était plutôt difficile.

Cher(ère) lecteur(trice), si vous avez tenu le coup jusqu’ici, félicitations! C’est maintenant que le paradigme fait son entrée.

Contradictions d’instruments

Les G5s offrent des infos de vol précises. C’est en vol d’inauguration, pardon test en vol que le « snag » s’est exposé au grand jour.

Sur la montée initiale (journée dégagée), j’observais un écart de 6 à 7 kt entre l’indicateur de vitesse conventionnel et celui du G5. Le « vieux » affichait plus lent que le nouveau. En croisière l’écart était de 4 à 5 kt et en approche 8 à 9 kt.

Tout compte fait sur le PA-30 bien chargé on espère voler l’approche entre 75 et 80 KIAS en conditions calmes. là, la réalité était plus d’ordre de 83 à 88 kt près du seuil de piste. Avoir suffisamment de vitesse était l’euphémisme de l’année.

En testant les décrochages le vieil instrument (comme d’habitude en fait) était complètement sorti des arcs colorés pendant que le G5 était pile-poil sur 63 kt lorsque la NACA 642A215 annonça: « C’est tout ».

Il ne m’est jamais arrivé de penser avant l’installation des G5, pilotant bien béat et flottant comme sur un tapis magique, à vérifier la vitesse-sol sur le GPS! J’ai fait cela tout le long de ma carrière sur les jets et pourtant il ne m’est jamais traversé l’esprit de questionner cette affaire de « flottaison ». J’étais devant un fait acquis en « phase 1 ». Le piège, heureusement pas si fatal, était tendu. Je savais que l’avion flottait et j’acceptais ce fait.

J’ai fait enlever l’indicateur de vitesse, alias badin, et on l’a envoyé en cure fitness. En passant, la dernière fois que l’instrument avait été révisé remonte à 13 ans. Les mécanos m’ont confié que les indicateurs de vitesse dotés d’échelle réglable de vitesse-vraie sont plus souvent sujets aux fuites.

L’évidence contre-attaque

L’instrument fraichement reconstruit fut ré-installé avec les tests de fuite statiques et dynamiques complétés. Comme un pouce frappé par un marteau affolé, la vitesse réelle s’est révélée en grande pompes. Au décrochage le « vieil instrument affichait pile-poil la vitesse de décrochage, en phase d’approche, l’avion est devenu complètement différent. L’atterrissage avec un arrondi normal et attendu, pour un avion de classe général, sur les chiffres. Sans freinage notable on rencontrait les perfos du livre, tracé GPS à l’appui. Il faut se demander: mais qu’est-ce que j’ai fait tout ce temps?

Un paradigme; le modèle classique. Je n’ai jamais pensé contre-vérifier la vitesse-sol du GPS. C‘était sécuritaire, bien que quelque peu débridé… J’entends d’ici les contre-arguments. Tout ce que le type avait à faire c’était de voler les G5 et oublier l’ancien anémomètre. Pourquoi se soucier de l’ancien? Les rapports d’accidents sont riches en situations où des équipements obligatoires sont défectueux. L’anémomètre conventionnel reste l’instrument primaire sur une installation IFR de G5.

Finalement, un mot sur la prudence. Il existe une différence remarquable entre les paradigmes et les procédures des manufacturiers testées par le temps et les SOPs en place. Mon expérience demandait d’appliquer les bonnes procédures dans ce cas qui nous intéresse. Il s’agissait d’indications de vitesses non fiables. Lors de cet épisode, bien que les G5s indiquaient avec précision la vitesse réelle, le cerveau refusait de voler la vitesse d’approche requise et affichée au G5. Au cours de ce vol où trois approches d’entrainement aux instruments ont été exécutées, j’étais exposé à des vitesses contradictoires. Bien qu’apparemment fausse, j’étais passablement inconfortable de voir afficher une vitesse passablement près de la Vso sur l’ancien anémomètre. Donc résolument, je volais l’ancien anémomètre par soucis de bonne gestion de vol. Ce faisant, j’éliminais un facteur de risque connu. Il était convenable de voler l’approche à la vitesse très conservatrice de l’ancien anémomètre. Trop d’accidents connus se sont produits à cause précisément de ce problème.

Lorsque le proverbial fumier frappe le ventilateur: il est fondamental d’appliquer les SOPs, les procédures et les checklistes et toujours penser hors du carré de sable.

Vos commentaires et suggestions sont les bienvenus.

Inscrivez-vous au blogue

Entrez votre adresse courriel pour recevoir les notifications de nouvelles rubriques. Vos données ne sont nullement vendues ailleurs!

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *